Dernier jour 7h02

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Kyodo News, Tokyo, aujourd'hui, 07h01. L'attentat à la bombe du Hilton de Santa-Maria d'Almogar vient d'être démenti avec force par le porte-parole japonais de la branche pacifiste du groupe écologiste « Remember Rainbow Warrior ».

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En arrivant dans la chambre de son fils, la mère de Michael découvrit son enfant planté à côté de son bureau, face au policier qui vérifiait verbalement son identité. En entendant Michael confirmer avec hésitation qu'il était bien la personne recherchée. Elle vit, elle l'avait oublié, que Michael était devenu un homme, même si elle pensait encore à lui comme à un ado. Elle perçut que malgré son calme apparent, son fils était sous le coup d'une émotion très vive.

— Vous êtes en état d'arrestation, conclut l'officier en sortant de sa poche une paire de menottes dont il referma un anneau sur son propre poignet. Michael se recula contre le mur. Sa mère crut que son cœur s'arrêtait. Ce n'était pas la première fois que Michael se flanquait dans le pétrin. Cependant, la situation prenait une tournure sinistre.

Il se produisit alors un évènement extraordinaire : Jennifer sortit de la pièce adjacente à la chambre de Michael et que ce dernier avait transformée en laboratoire-capharnaüm. Apparition céleste, vision de rêve, alliance parfaite de blondeur, de rondeurs exquises, de l'élégance de la minceur couronnée par la perfection esthétique de son visage. On pouvait se prendre à croire qu'elle était l'une de ces créatures sublimes que l'on admirait à la télévision, qui serait descendue du poste par magie. Elle vint avec calme et résolution, droit sur le policier en balançant avec une grâce inouïe ses larges hanches et ses longues jambes parfaites. Elle lui fit un sourire désarmant et lui dit d'une voix chaude et sensuelle :

— Bonjour, Monsieur l'Officier ! Comment allez-vous ?

Elle aurait tout aussi bien pu déclamer un vers d'un poème oublié dans une langue inconnue. Le policier s'était tourné vers elle, et il avait marqué l'arrêt face à cette vision, si bien que l'extrémité des menottes qu'il destinait à Michael se balança sous sa main. Jennifer lui fit un sourire séducteur très exagéré, mais néanmoins saisissant de spontanéité et de sincérité, et elle vint se coller à lui, comme dans un glissement de côté. Alors, avec une résolution époustouflante, elle l'enlaça d'un bras et lui offrit câlinement sa bouche à embrasser. Médusée, la mère de Michael constata que la blonde avait dans le même geste saisi le poignet du policier. Celui-ci se défendit sur-le-champ avec une violence extrême, comme s'il s'était soudain réveillé d'un rêve pour découvrir une réalité cauchemardesque, en repoussant Jennifer brutalement, mais sans parvenir à l'éloigner. Malgré ses hauts talons, Jennifer se laissa brutaliser en faisant preuve d'un sens de l'équilibre stupéfiant, sans cesser de sourire, comme si le policier avait été un danseur très maladroit. Sous les yeux estomaqués de la mère de Michael, elle attrapa les menottes dans un geste d'une vivacité et d'une précision incroyable et les referma sur son poignet. Du coup, lorsque le policier qui se débattait toujours avec véhémence parvint à s'extraire de son emprise, ce fut pour découvrir qu'ils étaient attachés ensemble. Alors, avec la fébrilité d'une panique évidente, il utilisa sa main libre pour dégainer son arme de service, et dans le même geste, il tira sur Jennifer trois coups en succession rapide, à bout portant dans la poitrine, tandis que la mère de Michael hurlait de terreur au son monstrueux des détonations du magnum. Jennifer s'immobilisa. Elle regarda le policier de ses magnifiques yeux bleus, profonds comme un lagon, et avec une expression de surprise, mais une sorte de sourire, elle s'effondra, menaçant de faire tomber le policier après elle. Son corps s'étala dans un grand bruit, les membres aux quatre points cardinaux, d'une façon sensiblement différente de celle à laquelle on s'attendrait à voir tomber un être humain. Un peu de fumée s'élevait de ses blessures et une très nette odeur de brûlé envahit la pièce. Jennifer regardait le policier penché sur elle au bout de la menotte. Elle cligna ses longs cils. Son sourire était devenu angélique. Sa bouche forma quelques syllabes et il sembla à la mère de Michael qu'elle avait prononcé le nom de son fils. Puis il y eut un déclic audible à l'intérieur de son corps et ses grands yeux parfaits de poupée s'immobilisèrent.

Le policier était tout rouge, il respirait fort, penché en avant au-dessus du corps de l'androïde, il tirait comme avec des spasmes sur la menotte, son arme dans l'autre main. La mère de Michael crut qu'il allait faire un malaise. Il prit une grande respiration et poussa un juron sonore. La mère de Michael mit une bonne seconde à comprendre la raison de son extrême contrariété : Michael avait disparu. Quelqu'un cria : « Chef ! » Un moteur de moto démarra dans un hurlement strident, suivi par celui de la roue arrière qui ripait sur l'asphalte devant la maison. Des détonations résonnèrent. Elle ne les compta pas, car elle était trop occupée à dévaler l'escalier, tandis que l'officier cherchait fébrilement les clés de ses menottes. Elle courut sous la pluie battante rejoindre le jeune policier planté au milieu de la chaussée qui abaissait le canon fumant de son fusil, son regard attaché à la moto qui entrait dans la forêt au bout de l'impasse. Il n'était pas possible de poursuivre par là une moto avec une voiture, et la mère de Michael devina que, sinon, le policier aurait bondi pour prendre le volant. Elle le fusilla du regard, tandis qu'il annonçait le fuyard à la radio, donnait sa description et demandait à toutes les patrouilles du secteur de converger pour bloquer la moto. Il la regarda et dit en haussant les épaules :

— J'ai tiré en l'air.

Son chef les avait rejoints, pantelant. Il demanda, criant pour se faire entendre par dessus le vent :

— Que s'est-il passé ?

— Il est arrivé derrière moi et m'a fait un truc de karaté. Il se massa le sternum et le cou. Il eut un geste d'impuissance.

« Le temps que je me relève, il avait démarré la moto. Il regarda la mère de Michel et ajouta :

« J'ai tiré en l'air pour lui faire peur.

Le chef leva les yeux au ciel. Une bourrasque les fit se plier en deux. La mère de Michael demanda en criant :

— Faire peur à quelqu'un qui a décidé de tenter sa chance à fuir, vous n'avez pas l'impression que c'est une connerie, que cela le fera juste courir plus vite ?

Le chef lui répondit, excédé :

— Vous avez raison, Madame. Mon collègue ici présent débute dans notre difficile métier. Il a oublié que la seule raison de tirer sur un fuyard c'est pour le descendre, et qu'il a le droit de le faire si le fugitif est un délinquant formellement identifié qui fait opposition aux membres des forces de l'ordre en s'en prenant à eux avec violence.

Elle le regarda, regarda le jeune planton. Ils restaient debout sous la pluie battante. Elle écarta ses cheveux que le vent avait jetés sur son visage. Elle demanda :

— Vous voulez dire qu'il a eu raison de tirer, mais qu'il aurait dû viser mon fils pour le tuer ?

Le policier haussa les épaules.

— Pas pour le tuer, pour le stopper, Madame, c'est ce que je veux dire. Un suspect qui résiste quand on vient l'arrêter, qui programme une machine pour agresser un officier de police afin de faire diversion et qui en agresse un autre, est éligible pour une salve sans sommations. C'est la loi.

Elle regarda le planton, et alors, à son air, elle comprit qu'il lui avait menti, qu'il n'avait pas tiré en l'air. Elle pensa à Jennifer, qui gisait à l'étage et elle eut un violent frisson. Elle considéra les deux policiers qui s'étaient écartés pour échanger quelques mots en privé, ils avaient l'air contrarié. Elle frissonna à nouveau.

Le chef consulta l'écran de sa console portable. Il dit :

— De toute façon, ils vont l'avoir, c'est une question de minutes. La seule petite chance qu'il a, c'est qu'on n'a pas d'hélicoptère aujourd'hui avec ce temps, mais cela ne fera pas une grande différence ...Regardez, cria-t-il triomphalement ! Ils l'ont déjà localisé avec les caméras ! Il est sorti de la forêt de l'autre côté, il se dirige vers le nord !

Il était en train de tourner son écran vers elle pour lui monter les images de Michael cheveux au vent, penché sur le guidon de la moto, qui filait comme un dératé dans une petite rue, quand tout devint noir. Il fronça les sourcils, tandis que son jeune collègue portait ses mains à ses oreilles et retirait vivement son casque.

— Schwartz ! C'est quoi ce merdier ? cria le jeune en grimaçant de contrariété. On entendait un très fort sifflement qui émanait de son casque. Il manipula avec fébrilité les gadgets qu'il portait à la ceinture et sur sa bandoulière.

Le chef essuya son écran, il tiqua :

— Je sais pas. On dirait que le réseau tactique est tombé.

Sous les yeux de la mère de Michael, ils commencèrent à tester leurs matériels avec une consternation grandissante. De toute évidence, ils n'avaient plus grand-chose qui fonctionnait. En particulier, elle les entendit tenter de joindre leurs collègues à plusieurs reprises et par différentes méthodes, sans résultat. Il pleuvait toujours autant, personne n'osait plus rien dire. Le chef fit signe au planton de rentrer dans la maison, il dit à la mère de Michael.

— On va mettre des scellés sur sa chambre et on reviendra plus tard, quand on l'aura attrapé. Des scellés, vous savez ce que cela signifie ? Si vous entrez dans cette chambre, vous serez poursuivie.

Elle ne répondit rien, elle était atterrée. Elle resta en bas sur le pas de la porte grande ouverte tandis que les policiers opéraient à l'étage et que la barre de gyrophares de leur véhicule continuait à jeter des éclairs multicolores sur les façades des maisons de la rue. Quelques voisins étaient sortis, elle leur en dit le minimum : que la police était venue chercher Michael. La voisine du bas de la rue, arrivée tardivement de son pas boitant, demanda mielleusement :

— Ils ne l'ont pas attrapé ?

La mère de Michael se retourna vers la chipie, et des larmes lui venant aux yeux, elle lui répondit fièrement :

— Non !

La vieille pencha la tête de côté. Elle haussa les épaules. Secouant la tête, elle dit :

— Et ils font ça avec l'argent de mes impôts ! La prochaine fois, pour attraper un gamin, ils viendront avec un tank.

Elle s'en retourna vers chez elle sans saluer et on l'entendit maugréer dans la pluie :

« Abrutis !

La mère de Michael la regarda s'éloigner avec stupeur.

Quand les policiers redescendirent, le chef consulta sa console et dit en reniflant :

— C'est pas reparti.

Il se tourna vers la mère de Michael et lui fit une grimace de sourire dédaigneux :

« Votre fils n'y est sûrement pour rien, tout pirate informatique qu'il est !

Celle-ci le regarda froidement tandis qu'il montait dans la voiture. Il émit un petit rire bref en claquant la portière. Le moteur rugit et ils partirent dans la tempête, gyrophares projetant des éclairs bleutés dans toutes les directions.

La mère de Michael resta quelques instants dressée dans la rue, grelottante. Quand elle se retourna pour aller se mettre à l'abri de la maison, un maigre sourire se dessina sur son visage tandis qu'elle adressait une prière silencieuse dont la sincérité la surprit elle-même : cours, Michael ! Cours, mon ange ! Tu es beaucoup plus malin qu'eux.

Elle referma la porte et s'y adossa en fermant les yeux. Elle savait que ce n'était pas vrai. Ils allaient lui mettre la main dessus, ce n'était qu'une question de temps. Et quand ils le retrouveraient, ils le jetteraient en prison. D'ailleurs, Michael avait à coup sûr considérablement aggravé son cas avec cette fuite rocambolesque.